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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 4.djvu/69

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la révolte

— Eh bien, s’il est encore jeune, nous le retrouverons de nous-mêmes… Mais je n’en crois rien. Ce qui a été bon une fois, ne l’est jamais une seconde fois. Il n’y a de bon que le changement. Ce qu’il faut avant tout, c’est se débarrasser des vieux. Il y a trop de vieux en Allemagne. Mort aux vieux !

Christophe écoutait ces boutades avec une grande attention, et se donnait beaucoup de mal pour les discuter ; il sympathisait en partie avec elles, il y reconnaissait certaines de ses pensées ; et, en même temps, il éprouvait une gêne de les entendre outrer d’une façon caricaturesque. Mais, comme il prêtait aux autres son propre sérieux, il se disait que peut-être son interlocuteur, qui semblait plus instruit que lui et parlait plus facilement, avait raison et qu’il tirait les conséquences logiques de ses principes. L’orgueilleux Christophe, à qui tant de gens ne pardonnaient pas d’avoir foi en lui-même, était tout au contraire d’une modestie naïve, qui le rendait souvent dupe, vis-à-vis de ceux qui avaient reçu une meilleure éducation que lui, — quand toutefois ils consentaient à ne pas s’en targuer pour éviter une discussion gênante. Mannheim, qui s’amusait de ses propres paradoxes, et qui, de riposte en riposte, en arrivait à des cocasseries extravagantes, dont il riait intérieurement, n’était pas habitué à se voir pris au sérieux ; il fut mis en joie par la peine que prenait Christophe pour discuter ses bourdes, ou même pour les comprendre ; et, tout en s’en moquant, il était reconnaissant de l’importance que Christophe lui attribuait : il le trouvait ridicule et charmant.

Ils se quittèrent fort bons amis ; et Christophe ne fut pas peu surpris de voir, trois heures plus tard, à la répétition du théâtre, surgir de la petite porte qui donnait accès à l’orchestre la tête de Mannheim, radieuse et grimaçante, qui lui faisait des signes mystérieux. Quand la répétition fut finie, Christophe alla à lui. Mannheim le prit familièrement par le bras :

— Vous avez un moment ?… Écoutez. Il m’est venu

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