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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

seule constatation qu’il lui était permis de faire, pour le moment, c’était de ce débordement d’écriture, qui avait l’air d’une calamité publique. Il semblait que tout le monde écrivît : hommes, femmes, enfants, officiers, comédiens, gens du monde, forçats. C’était une épidémie.

Christophe y renonça, pour l’instant. Il sentait qu’un guide, comme Sylvain Kohn, ne pourrait que l’égarer tout à fait. L’expérience qu’il avait faite en Allemagne d’un cénacle littéraire le mettait justement en défiance contre le milieu où il se trouvait ; il était sceptique à l’égard des livres et des revues : on ne savait jamais s’ils ne représentaient pas simplement l’opinion d’une centaine de désœuvrés, ou même, en certains cas, si l’auteur n’était pas tout le public à lui tout seul. Le théâtre donnait une idée plus exacte de la société. Il tenait à Paris, dans la vie quotidienne, une place exorbitante. C’était une cuisine énorme, un restaurant pantagruélique, qui ne suffisait pas à assouvir l’appétit de ces deux millions d’hommes. Une trentaine de grands théâtres, sans parler des théâtres de quartier, des cafés-concerts, des spectacles divers, — une centaine de salles jouant, chaque soir, et, chaque soir, presque toutes pleines. Un peuple d’acteurs et d’employés. Des sommes colossales englouties dans ce gouffre. Les quatre théâtres subventionnés occupant à eux seuls près de trois mille personnes, et dépensant dix millions. Paris tout entier rempli de la gloire