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LA FOIRE SUR LA PLACE

bons parfums, — et aussi de médiocres, — et l’éternelle, l’obsédante odeur fade, chaude et sucrée. Elle était partout dans cette littérature. Christophe pensait, comme Goethe : « Que les femmes fassent autant qu’elles veulent des poésies et des écrits ; mais que les hommes n’écrivent pas comme des femmes ! Voilà ce qui ne me plaît pas. » Il ne pouvait voir sans dégoût ces minauderies, cette coquetterie louche, cette sensiblerie qui se dépensait de préférence au profit des êtres les moins dignes d’intérêt, ce style pétri d’idéologies, de mignardise et de sensualité, ce mélange de raffinement et de brutalité, ces charretiers psychologues.

Mais Christophe se rendait compte qu’il ne pouvait bien juger. Il était assourdi par le bruit de la foire aux paroles. Impossible d’entendre les jolis airs de flûte, qui se perdaient au milieu. Car, même parmi ces œuvres de plaisir, il n’en manquait pas au fond desquelles souriait le ciel limpide et la ligne harmonieuse des collines de l’Attique, — tant de talent, tant de grâce, une douceur de vivre, un charme du style, une pensée pareille aux belles voluptueuses ou aux langoureux adolescents de Pérugin et du jeune Raphaël, qui sourient à leur rêve amoureux, les yeux à demi fermés. Christophe n’en voyait rien. Rien ne pouvait lui révéler les tendances dominantes, les courants de l’esprit public. Un Français aurait eu lui-même grand’peine à s’y reconnaître. Et la