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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

un cri imprévu. Du commencement à la fin, un mécanisme d’horloge, un problème posé, un schéma dramatique, un squelette de pièce, et dessus, nulle chair, des phrases de livre. Des idées timides au fond de ces discussions qui voulaient paraître hardies : une âme de petit bourgeois gourmé.

L’héroïne avait divorcé d’avec un mari indigne, dont elle avait un enfant, et elle s’était remariée avec un honnête homme qu’elle aimait. Il s’agissait de prouver que, même dans ce cas, le divorce était condamné par la nature, comme par le préjugé. Pour cela, rien de plus facile : l’auteur s’arrangeait de façon à ce que le premier mari reprît la femme, une fois, par surprise. Et après, au lieu de la nature toute simple, qui eût voulu des remords, une honte profonde peut-être, mais le désir d’autant plus grand d’aimer et d’honorer le second, l’honnête homme, on présentait un cas de conscience héroïque, hors nature. Il en coûte si peu d’être vertueux, hors nature ! Les écrivains français n’ont pas l’air familiers avec la vertu : ils forcent toujours la note, quand ils en parlent ; il n’y a plus moyen d’y croire. On dirait qu’on a toujours affaire à des héros de Corneille, à des rois de tragédie. — Et ne sont-ce pas bien des rois, ces héros millionnaires, ces héroïnes qui ne sauraient intéresser, si elles n’avaient, pour le moins, un hôtel à Paris et deux ou trois châteaux en province ? La richesse, pour cette sorte d’écri-