Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 5.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

119
LA FOIRE SUR LA PLACE

vains et de public, est une beauté, presque une vertu.

Le public était encore plus étonnant que la pièce. Toutes les invraisemblances, indéfiniment répétées, ne le lassaient jamais. Il riait aux bons endroits, quand l’acteur disait la phrase qui devait faire rire, en l’annonçant à l’avance, afin qu’on eût le temps de se préparer à rire. Il se mouchait et toussait, profondément ému, dans les instants où les mannequins tragiques hoquetaient, rugissaient ou s’évanouissaient, selon des rites consacrés.

— Et on dit que les Français sont légers ! s’exclama Christophe, au sortir de la représentation.

— Il y a temps pour tout, dit Sylvain Kohn, gouaillant. Vous vouliez de la vertu ? Vous voyez qu’il y en a encore en France.

— Mais ce n’est pas de la vertu, se récria Christophe, c’est de l’éloquence !

— Chez nous, dit Sylvain Kohn, la vertu au théâtre est toujours éloquente.

— Vertu de prétoire, dit Christophe, la palme est au plus bavard. Je déteste les avocats. N’avez-vous pas des poètes, en France ?

Sylvain Kohn le mena à des théâtres poétiques.