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LA FOIRE SUR LA PLACE

moitié riante, moitié fâchée. Vous n’avez pas la moindre idée du respect.

— Pas la moindre.

— Vous êtes un impertinent… Et puis d’abord, quand cela serait, est-ce que ce n’est pas la vraie façon d’aimer la musique ?

— Oh ! je vous en prie, ne mêlons pas la musique à cela !

— Mais c’est la musique même ! Un bel accord, c’est un baiser.

— Je ne vous l’ai pas fait dire.

— Est-ce que ce n’est pas vrai ?… Pourquoi haussez-vous les épaules ? Pourquoi faites-vous la grimace ?

— Parce que cela me dégoûte.

— De mieux en mieux !

— Cela me dégoûte d’entendre parler de la musique, comme d’un libertinage… Oh ! ce n’est pas votre faute. C’est la faute de votre monde. Toute cette fade société qui vous entoure regarde l’art comme une sorte de débauche permise… Allons, assez là-dessus ! Jouez-moi votre sonate.

— Mais non, causons encore un peu.

— Je ne suis pas ici pour causer, je suis ici pour vous donner des leçons de piano… En avant, marche !

— Vous êtes poli ! disait Colette, vexée, — ravie, au fond, d’être ainsi rudoyée.

Elle jouait son morceau, s’appliquant de son mieux ; et, comme elle était habile, elle y réussis-