Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 5.djvu/177

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

165
LA FOIRE SUR LA PLACE

— Est-ce possible ? dit Christophe, stupéfait. Quoi ! vous souffrez, vous souffrez ainsi ?

Colette ne répondit pas ; mais des larmes lui vinrent aux yeux. Elle essaya de sourire, et tendit la main à Christophe : il la saisit, ému.

— Pauvre petite ! disait-il. Si vous souffrez, pourquoi ne faites-vous rien pour sortir de cette vie ?

— Que voulez-vous que nous fassions ? Il n’y a rien à faire. Vous, hommes, vous pouvez vous libérer, faire ce que vous voulez. Mais nous, nous sommes enfermées pour toujours dans le cercle des devoirs et des plaisirs mondains : nous ne pouvons en sortir.

— Qui vous empêche de vous affranchir comme nous, de prendre une tâche qui vous plaise et vous assure, comme à nous, l’indépendance ?

— Comme à vous ? Pauvre monsieur Krafft ! Elle ne vous l’assure pas trop !… Enfin ! Elle vous plaît, du moins. Mais nous, pour quelle tâche sommes-nous faites ? Il n’y en a pas une qui nous intéresse. — Oui, je sais bien, nous nous mêlons de tout maintenant, nous feignons de nous intéresser à des tas de choses qui ne nous regardent pas : nous voudrions tant nous intéresser à quelque chose ! Je fais comme les autres. Je m’occupe de patronages, de comités de bienfaisance. Je suis des cours de la Sorbonne, des conférences de Bergson et de Jules Lemaître, des concerts historiques, des matinées classiques, et je prends des