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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

notes, des notes… je ne sais pas ce que j’écris !… et je tâche de me persuader que cela me passionne, ou du moins que c’est utile. Ah ! comme je sais bien le contraire, comme tout cela m’est égal, et comme je m’ennuie !… Ne recommencez pas à me mépriser, parce que je vous dis franchement ce que tout le monde pense. Je ne suis pas plus bécasse qu’une autre. Mais qu’est-ce que la philosophie, et l’histoire, et la science peuvent bien me faire ? Quant à l’art, — vous voyez, — je tapote, je barbouille, je fais des petites saletés d’aquarelles ; — mais est-ce que cela remplit une vie ? Il n’y a qu’un but à la nôtre : c’est le mariage. Mais croyez-vous que c’est gai de se marier avec l’un ou l’autre de ces individus, que je connais aussi bien que vous ? Je les vois comme ils sont. Je n’ai pas la chance d’être comme vos Gretchen allemandes, qui savent toujours se faire illusion… Est-ce que ce n’est pas terrible ? Regarder autour de soi, voir celles qui se sont mariées, ceux avec qui elles se sont mariées, et penser qu’il faudra faire comme elles, se déformer de corps et d’esprit, devenir banales comme elles !… Il faut du stoïcisme, je vous assure, pour accepter une telle vie et ses devoirs. Toutes les femmes n’en sont pas capables… Et le temps passe, les années coulent, la jeunesse s’en va ; et pourtant, il y avait de jolies choses, de bonnes choses en nous, — qui ne serviront à rien, qui meurent tous les jours, qu’il faudra se résignera donner à des sots,