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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

sait pas de choisir. Elle eût voulu tout ménager, afin de profiter de tout.

Mais avec un ami comme Christophe, ce n’était pas commode. Il admettait qu’on lui préférât des êtres qu’il n’estimait pas, ou même qu’il méprisait ; mais il n’admettait pas qu’on l’égalât à eux. Chacun son goût ; mais au moins, fallait-il en avoir un.

Il était d’autant moins disposé à la patience que Colette semblait prendre plaisir à collectionner autour d’elle tous les petits jeunes gens, qui pouvaient le plus exaspérer Christophe : d’écœurants petits snobs, riches pour la plupart, en tout cas oisifs, ou lotis de quelque sinécure dans quelque ministère, — ce qui est tout comme. Tous écrivaient — prétendaient écrire. C’était une névrose, sous la Troisième République. C’était surtout une forme de paresse vaniteuse, — le travail intellectuel étant de tous le plus difficile à contrôler, et celui qui prête le plus au bluff. Ils ne disaient de leurs grands labeurs que quelques mots discrets, mais respectueux. Ils semblaient pénétrés de l’importance de leur tâche, accablés sous le fardeau. Dans les premiers temps, Christophe éprouvait quelque gêne à ignorer aussi absolument leurs œuvres et leurs noms. Avec timidité, il tâcha de s’informer ; il désirait surtout savoir ce qu’avait écrit l’un d’entre eux, dont leurs discours faisaient un maître du théâtre. Il fut surpris d’apprendre que ce grand dramaturge avait pro-