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LA FOIRE SUR LA PLACE

duit un seul acte, lequel était extrait d’un roman, qui lui-même était fait d’une suite de nouvelles, ou plutôt de notations qu’il avait publiées dans une de leurs Revues, au cours des dix dernières années. Les autres n’avaient pas un bagage plus lourd : quelques actes, quelques nouvelles, quelques vers. Certains étaient célèbres pour un article. D’autres pour un livre, « qu’ils devaient faire ». Ils professaient du dédain pour les œuvres de longue haleine. Ils semblaient attacher une importance extrême à l’agencement des mots dans une phrase. Cependant, le mot de « pensée » revenait fréquemment dans leurs propos ; mais il ne paraissait pas avoir le même sens que dans le langage courant : ils l’appliquaient à des détails de style. Toutefois, il y avait aussi parmi eux de grands penseurs et de grands ironistes, qui, lorsqu’ils écrivaient, mettaient leurs mots profonds et fins en italiques, pour qu’on ne s’y trompât point.

Tous avaient le culte du moi : c’était le seul culte qu’ils eussent. Ils cherchaient à le faire partager aux autres. Le malheur était que les autres étaient déjà pourvus. Ils avaient la préoccupation constante d’un public dans leur façon de parler, marcher, fumer, lire un journal, porter la tête et les yeux, se saluer entre eux. — Le cabotinage est naturel aux jeunes gens, et d’autant plus qu’ils sont plus insignifiants, c’est-à-dire moins occupés. C’est surtout pour