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LA FOIRE SUR LA PLACE

sue. Elle avait besoin de s’occuper, mais elle n’avait pas besoin de s’intéresser à ce dont elle s’occupait. Cela ressemblait au travail fébrile de ces femmes, qui ont toujours un tricot entre les doigts, et qui remuent sans trêve les aiguilles, comme si le salut du monde était attaché à ce travail, dont elles n’ont même pas l’emploi. Et puis, il y avait chez elle, — comme chez les « tricoteuses », — la petite vanité de l’honnête femme, qui fait, par son exemple, la leçon aux autres femmes.

Le député avait pour elle un mépris affectueux. Il l’avait fort bien choisie, pour son plaisir et pour sa tranquillité. Elle était belle, il en jouissait, il ne lui demandait rien de plus ; et elle ne lui demandait rien de plus. Il l’aimait, et la trompait. Elle s’en accommodait, pourvu qu’elle eût sa part. Peut-être même y trouvait-elle un certain plaisir. Elle était calme et sensuelle. Une mentalité de femme de harem.

Ils avaient deux jolis enfants de quatre à cinq ans, dont elle s’occupait, en bonne mère de famille, avec la même application aimable et froide qu’elle apportait à suivre la politique de son mari et les dernières manifestations de la mode et de l’art. Et cela faisait, dans ce milieu, le plus singulier mélange de théories avancées, d’art ultra-décadent, d’agitation mondaine, et de sentiment bourgeois.

Ils invitèrent Christophe à venir les voir.