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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

s’intéressant à tout, par goût naturel, par goût acquis, et par vanité ; honnête, dans la mesure où son intérêt ne lui commandait pas le contraire, et où il eût été dangereux de ne pas l’être.

Il avait une assez jolie femme, grande, bien faite, solidement charpentée, la taille élégante, un peu étriquée dans de luxueuses toilettes, qui accusaient avec exagération les robustes rondeurs de son anatomie ; le visage encadré de cheveux noirs frisottants, les yeux grands, noirs et épais ; le menton un peu en galoche ; la figure grosse, d’aspect assez mignon toutefois, mais gâté par les petites grimaces des yeux myopes, clignotants, et de la bouche en cul-de-poule. Elle avait une démarche factice, saccadée, comme celle de certains oiseaux, et une façon de parler minaudière, mais beaucoup de bonne grâce et d’amabilité. Elle était de riche famille bourgeoise et commerçante, d’esprit libre et d’espèce vertueuse, attachée aux devoirs innombrables du monde, comme à une religion, sans parler de ceux qu’elle s’imposait, de ses devoirs artistiques et sociaux : avoir un salon, répandre l’art dans les Universités Populaires, s’occuper d’œuvres philanthropiques ou de psychologie de l’enfance, — sans grande chaleur de cœur, sans intérêt profond, — par un mélange de bonté naturelle, de snobisme, et de pédantisme innocent de jeune femme instruite, qui semble réciter perpétuellement une leçon, et qui met son amour-propre à ce qu’elle soit bien