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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 5.djvu/21

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9
LA FOIRE SUR LA PLACE

Qu’il me tue ! Je ne laisserai pas d’espérer en lui…


Les cœurs vulgaires ne peuvent comprendre le bienfait, pour un malheureux, de cette tristesse sans bornes. Toute grandeur est bonne, et le comble de la douleur atteint à la délivrance. Ce qui abat, ce qui accable, ce qui détruit irrémédiablement l’âme, c’est la médiocrité de la douleur et de la joie, la souffrance égoïste et mesquine, sans force pour se détacher du plaisir perdu, et prête secrètement à tous les avilissements pour un plaisir nouveau. Christophe était ranimé par l’âpre souffle, qui montait du vieux livre : le souffle du Sinaï, des vastes solitudes et de la mer puissante, balayait les miasmes. La fièvre de Christophe tomba. Il se recoucha, plus calme, et il dormit d’un trait jusqu’au lendemain. Quand il rouvrit les yeux, le jour était venu. Il vit plus nettement encore l’ignominie de sa chambre ; il sentit sa misère et son isolement ; mais il les regarda en face. Le découragement était parti ; il ne lui restait plus qu’une virile mélancolie. Il redit la parole de Job :


Quand Dieu me tuerait, je ne laisserais pas d’espérer en lui…


Il se leva, et commença la lutte, avec tranquillité.