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LA FOIRE SUR LA PLACE

Il en est de même du jeune compositeur : la tête fourmille d’idées ; mais leur classement n’est pas encore opéré. » Et, un peu effrayé de son courage, protestant à chaque phrase : « Je suis un vieux libre penseur… Je suis un vieux républicain… », il proclamait audacieusement que « peu lui importait de savoir si les compositions de Pergolèse étaient des opéras ou des messes ; il s’agissait de savoir si c’étaient des œuvres de l’art humain ». — Mais l’implacable logique de son interlocuteur répliquait au « vieux libre penseur », au « vieux républicain », qu’ « il y avait deux musiques : celle qu’on chantait dans les églises, et celle qu’on chantait ailleurs ». La première était ennemie de la Raison et de l’État ; et la Raison d’État devait la supprimer.

Tous ces niais eussent été plus ridicules que dangereux, s’il n’y avait eu derrière eux des hommes d’une réelle valeur, sur qui ils s’appuyaient, et qui étaient comme eux, — plus encore peut-être, — fanatiques de la Raison. Tolstoy parle quelque part de ces « influences épidémiques », qui règnent en religion, en philosophie, en politique, en art, en science, de ces « influences insensées, dont les hommes ne voient la folie que lorsqu’ils en sont débarrassés, mais qui, tant qu’ils y sont soumis, leur paraissent si vraies qu’ils ne croient même pas nécessaire de les discuter ». Ainsi, la passion des tulipes, la croyance aux sorciers, les aberrations des modes littéraires. — La religion