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LA FOIRE SUR LA PLACE

malades de logique, toujours prêts à sacrifier les autres et eux-mêmes à un de leurs syllogismes. Ils parlaient constamment de liberté, et personne n’était moins fait pour la comprendre et pour la supporter. Nulle part, des caractères plus froidement, plus atrocement despotiques, par passion intellectuelle, ou par passion de vouloir toujours avoir raison.

Et ce n’était pas le fait d’un parti. Tous les partis étaient de même. Ils ne pouvaient — ils ne voulaient rien voir en deçà, au delà de leur formulaire politique ou religieux, de leur patrie, de leur province, de leur groupe, de leur étroit cerveau. Il y avait là des antisémites, qui dépensaient toutes les forces de leur être en une haine enragée et impuissante contre tous les privilégiés de la fortune : car ils haïssaient tous les Juifs, et ils appelaient Juifs tous ceux qu’ils haïssaient. Il y avait là des nationalistes, qui haïssaient — (quand ils étaient très bons, ils se contentaient de mépriser) — toutes les autres nations, et, dans leur nation même, appelaient étrangers, ou renégats, ou traîtres, ceux qui ne pensaient pas comme eux. Il y avait là des antiprotestants, qui se persuadaient que tous les protestants étaient Anglais ou Allemands, et qui eussent voulu les bannir tous de France. Il y avait les gens de l’Occident, qui ne voulaient rien admettre à l’Est de la ligne du Rhin ; et les gens du Nord, qui ne voulaient rien admettre au Sud de la ligne