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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 5.djvu/222

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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

possible. Cette morale immorale était le seul fil conducteur au milieu du gâchis politique, où les chefs donnaient l’exemple de l’anarchie, où l’on voyait une politique incohérente poursuivant dix lièvres à la fois, et les lâchant tous l’un après l’autre en route, une diplomatie belliqueuse côte à côte avec un ministère de la guerre pacifiste, des ministres de la guerre qui détruisaient l’armée afin de l’épurer, des ministres de la marine qui soulevaient les ouvriers des arsenaux, des instructeurs de la guerre qui prêchaient l’horreur de la guerre, des officiers dilettantes, des juges dilettantes, des révolutionnaires dilettantes, des patriotes dilettantes. Une démoralisation politique universelle. Chacun attendant de l’État qu’il le pourvût de fonctions, de décorations, de pensions, d’indemnités ; et l’État, en effet, ne manquant point d’en arroser sa clientèle : la curée des honneurs et des charges offerte aux fils, aux neveux, aux petits-neveux, aux valets du pouvoir ; les députés se votant des augmentations de traitement ; le gaspillage effréné des finances, des places, des titres, de toutes les forces de l’État. — Et, comme un sinistre écho de l’exemple venu d’en haut, le sabotage d’en bas : des instituteurs enseignant le mépris de l’autorité et la révolte contre la patrie, des employés des postes brûlant les lettres et les dépêches, des ouvriers des usines jetant du sable ou de l’émeri dans les engrenages des machines, des ouvriers des arsenaux détruisant les arsenaux,