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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

les façons, ne les jetaient pas par la fenêtre. Il n’osait pas le dire à Roussin ; mais, comme il ne savait rien cacher, Roussin n’eut pas de peine à deviner sa pensée. Il se mit à rire, et dit :

— Sans doute, c’est ce que vous ou moi, nous ferions, n’est-ce pas ? Mais il n’y a point de risques avec eux. Ce sont de pauvres bougres, qui ne sont pas capables de prendre le moindre parti énergique ; ils ne sont bons qu’à récriminer. Une aristocratie finie, gâteuse, abrutie par les clubs et par les sports, prostituée aux Américains et aux Juifs, et qui, pour prouver son modernisme, s’amuse du rôle insultant qu’on lui fait jouer dans les pièces à la mode, et fait fête aux insulteurs. Une bourgeoisie apathique et grincheuse, qui ne lit rien, qui ne comprend rien, qui ne veut rien comprendre, qui ne sait que dénigrer, dénigrer à vide, aigrement, sans aucune utilité, — qui n’a qu’une passion : dormir, croupir dans son sommeil, sur son sac aux gros sous, avec la haine de ceux qui veulent la déranger, ou même de ceux qui ne veulent pas faire comme elle : car cela la dérange que les autres travaillent, tandis qu’elle pionce !… Si vous connaissiez ces gens-là, vous finiriez par nous trouver sympathiques.

Mais Christophe n’éprouvait qu’un grand dégoût pour les uns et pour les autres : car il ne pensait point que la bassesse des persécutés fût une excuse pour celle des persécuteurs. Il n’avait que trop souvent rencontré chez les Stevens des types