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LA FOIRE SUR LA PLACE

de cette bourgeoisie riche et maussade, que lui dépeignait Roussin,

l’anime triste di coloro,
Che visser senza infamia e senza lodo

Il ne voyait que trop les raisons que Roussin et ses amis avaient d’être sûrs non seulement de leur force sur ces gens, mais de leur droit d’en abuser. Les outils de domination ne leur manquaient point. Des milliers de fonctionnaires sans volonté, ayant abdiqué toute personnalité, obéissant aveuglément. Des mœurs courtisanesques, une République sans républicains ; des journaux socialistes, des élus socialistes aplatis devant les rois en visite ; des âmes de domestiques, en arrêt devant les titres, les galons, les décorations : pour les tenir en laisse, il n’y avait qu’à leur jeter en pâture quelque os à ronger, ou la Légion d’Honneur. Si les rois avaient anobli tous les citoyens de France, tous les citoyens de France eussent été royalistes.

Les politiciens avaient beau jeu. Des trois États de 89, le premier était anéanti ; le second était proscrit, émigré ou suspect ; le troisième, repu de sa victoire, dormait. Et quant au quatrième État, qui, depuis, s’était levé, menaçant et jaloux, il n’était pas bien difficile d’en avoir raison. La République décadente le traitait, comme Rome décadente traitait les hordes barbares, qu’elle