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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

pour quelques cœurs excellents, mieux intentionnés qu’adroits, combien de sots, de bavards, d’intrigants, écrivains sans lecteurs, orateurs sans public, professeurs, pasteurs, parleurs, pianistes, critiques, anarchistes, qui inondaient le peuple de leurs produits ! Chacun cherchait à placer sa marchandise. Les plus achalandés étaient naturellement les vendeurs d’orviétan, les discoureurs philosophiques, qui remuaient à la pelle des idées générales, avec çà et là quelques faits, des notions scientifiques, des conclusions cosmologiques.

Les Universités Populaires étaient aussi un débouché pour les œuvres d’art ultra-aristocratiques : gravures, poésies, musique décadentes. On voulait l’avènement du peuple pour rajeunir la pensée et pour régénérer la race. Et l’on commençait par lui inoculer tous les raffinements de la bourgeoisie. Il les prenait avec avidité, non parce qu’ils lui plaisaient, mais parce qu’ils étaient bourgeois. Christophe, qui avait été amené à une de ces Universités Populaires par Mme Roussin, lui entendit jouer du Debussy au peuple, entre la Bonne Chanson de Gabriel Fauré et l’un des derniers quatuors de Beethoven. Lui qui n’était arrivé à l’intelligence des dernières œuvres de Beethoven qu’après bien des années, par un lent acheminement de son goût et de sa pensée, demanda, plein de pitié, à l’un de ses voisins :

— Mais est-ce que vous comprenez cela ?