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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

l’art pour l’art. Les meilleurs artistes français lui faisaient l’effet d’ouvriers de luxe. Un des plus parfaits poètes parisiens s’était amusé lui-même à dresser « la liste ouvrière de la poésie française contemporaine, chacun avec sa denrée, son produit ou ses soldes » ; et il énumérait « les lustres de cristal, les étoffes d’Orient, les médailles d’or et de bronze, les guipures pour douairières, les sculptures polychromes, les faïences à fleurs », qui sortaient de la fabrique de tel ou tel de ses confrères. Lui-même se représentait, « dans un coin du vaste atelier des lettres, reprisant de vieilles tapisseries, ou dérouillant des pertuisanes hors d’usage ». — Cette conception de l’artiste, comme d’un bon ouvrier, attentif uniquement à la perfection du métier, n’était pas sans grandeur. Mais elle ne satisfaisait pas Christophe ; et, tout en y reconnaissant une dignité professionnelle, il avait du mépris pour la pauvreté de vie qu’elle recouvrait, à l’ordinaire. Il ne concevait pas qu’on écrivît pour écrire, qu’on parlât pour parler. Il ne disait pas des mots, il disait — ou voulait dire — des choses

Ei dice cose, e voi dite parole…

Après une période de repos où il n’avait été occupé qu’à absorber un monde nouveau, l’esprit de Christophe était pris brusquement d’un besoin de créer. L’antagonisme qu’il sentait entre Paris