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LA FOIRE SUR LA PLACE

et lui, centuplait sa force, en accusant sa personnalité. C’était un débordement de passions, qui demandaient impérieusement à s’exprimer. Elles étaient de toute sorte ; par toutes, il était sollicité avec la même ardeur. Il lui fallait forger des œuvres, où se décharger de l’amour qui lui gonflait le cœur, et aussi de la haine ; et de la volonté, et aussi du renoncement, et de tous les démons qui s’entrechoquaient en lui, et qui avaient un droit égal à vivre. À peine s’était-il soulagé d’une passion dans une œuvre, — (quelquefois, il n’avait même pas la patience d’aller jusqu’à la fin de l’œuvre) — qu’il se jetait dans une passion contraire. Mais la contradiction n’était qu’apparente : s’il changeait toujours, toujours il restait le même. Toutes ses œuvres étaient des chemins différents qui menaient au même but ; son âme était une montagne : il en prenait toutes les routes ; les unes s’attardaient à l’ombre, en leurs détours moelleux ; les autres montaient âprement, arides, au soleil ; toutes conduisaient à Dieu, qui siégeait sur la cime. Amour, haine, volonté, renoncement, toutes les forces humaines, portées au paroxysme, touchent à l’éternité, et déjà y participent. Chacun la porte en soi : le religieux et l’athée, celui qui voit la vie partout, et celui qui la nie partout, et celui qui doute de tout et de la vie et de la négation, — et Christophe, dont l’âme embrassait tous ces contraires à la fois. Tous les contraires se fondent en l’éternelle Force. L’important pour Christophe,