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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

c’était de réveiller cette Force en lui et dans les autres, de jeter des brassées de bois sur le brasier, de faire flamber l’Éternité. Une grande flamme s’était levée dans son cœur, au milieu de la nuit voluptueuse de Paris. Il se croyait libre de toute foi, et il n’était tout entier qu’une torche de foi.

Rien ne pouvait davantage prêter le flanc à l’ironie française. La foi est un des sentiments que pardonne le moins une société très raffinée : car elle l’a perdu, et elle ne veut pas que d’autres le possèdent. Dans l’hostilité sourde ou railleuse de la plupart des gens pour les rêves des jeunes gens, il entre pour beaucoup l’amère pensée qu’eux-mêmes furent ainsi autrefois, qu’ils eurent ces ambitions et ne les réalisèrent point. Tous ceux qui ont renié leur âme, tous ceux qui avaient en eux une œuvre, et ne l’ont pas accomplie pour accepter la sécurité d’une vie facile et honorable, pensent :

— Puisque je n’ai pu faire ce que j’avais rêvé, pourquoi le feraient-ils, eux ? Je ne veux point qu’ils le fassent.

Combien d’Heddas Gabier parmi les hommes ! Quelle sourde lutte pour annihiler les forces neuves et libres, quelle science pour les tuer par le silence, par l’ironie, par l’usure, par le découragement, — et par quelque séduction perfide, au bon moment !…

Le type est de tous les pays. Christophe le con-