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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 5.djvu/24

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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

était habitué à ses villes du nouvel Empire allemand, à la fois très vieilles et très jeunes, où l’on sent monter l’orgueil d’une force nouvelle ; et il était désagréablement surpris par les rues éventrées, les chaussées boueuses, la bousculade des gens, le désordre des voitures, — des véhicules de toute sorte, de toute forme : de vénérables omnibus à chevaux, des tramways à vapeur, à électricité, et de tous les systèmes, — des baraques sur les trottoirs, des manèges de chevaux de bois (ou plutôt de monstres, de gargouilles), sur les places encombrées de statues en redingote : je ne sais quelle pouillasserie de ville du moyen âge, initiée aux bienfaits du suffrage universel, mais qui ne peut se défaire de son vieux fond truand. Le brouillard de la veille s’était changé en une petite pluie pénétrante. Dans beaucoup de boutiques, le gaz était allumé, bien qu’il fût plus de dix heures.

Christophe arriva, non sans avoir erré dans le dédale de rues qui avoisinent la place des Victoires, au magasin qu’il cherchait, rue de la Banque. En entrant, il crut voir, au fond de la boutique longue et obscure, Diener occupé à ranger des ballots, au milieu d’employés. Mais il était un peu myope, et se défiait de ses yeux, bien que leur intuition le trompât rarement. Il y eut un remue-ménage parmi les gens du fond, quand Christophe eut dit son nom au commis qui le recevait ; et, après un conciliabule, un jeune