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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

clarté, une sobriété, une intelligence des sentiments, et même, dans une certaine mesure, une beauté plastique, qu’elle n’aurait jamais eues sans cela. Son David en était la preuve.

Il avait voulu retracer plusieurs épisodes de cette adolescence : la rencontre avec Saül, le combat avec Goliath ; et il avait d’abord écrit la première de ces scènes. Il l’avait conçue comme un tableau symphonique, à deux personnages.

Sur un plateau désert, au milieu d’une lande de bruyères en fleurs, le petit pâtre était couché, et rêvait au soleil. La sereine lumière, le bourdonnement des êtres, le doux frémissement des herbes balancées, les grelots argentins des troupeaux qui paissaient, la force de la terre, berçaient la rêverie de l’enfant inconscient de ses divines destinées. Indolemment, il mêlait sa voix, et les sons d’une flûte, au silence harmonieux ; et ce chant était d’une joie si calme, si limpide que l’on ne songeait même plus, en l’entendant, à la joie ou à la douleur, mais qu’il semblait que c’était ainsi, que ce ne pouvait être autrement. — Soudain, de grandes ombres s’étendaient sur la lande ; l’air se taisait ; la vie semblait se retirer dans les veines de la terre. Tranquille, le chant de flûte continuait seul. Saül, halluciné, passait. Le roi dément, rongé par le néant, s’agitait comme une flamme furieuse, qui se dévore, et que tord l’ouragan. Il suppliait, injuriait, défiait le vide qui l’entourait, et qu’il portait en lui. Et lorsque, à bout de