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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 5.djvu/247

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LA FOIRE SUR LA PLACE

de souffle, il tombait sur la lande, reparaissait dans le silence le sourire paisible du chant du petit pâtre, qui ne s’était pas interrompu. Alors Saül, écrasant les battements de son cœur tumultueux, venait, en silence, près de l’enfant couché ; en silence, il le contemplait ; il s’asseyait près de lui, et posait sa main fiévreuse sur la tête du berger. David, sans se troubler, se retournait en souriant, et regardait le roi. Il appuyait sa tête sur les genoux de Saül, et reprenait sa musique. L’ombre du soir tombait ; David s’endormait, en chantant, et Saül pleurait. Et, dans la nuit étoilée, s’élevait de nouveau l’hymne de joie sereine de la nature ressuscitée, et le chant de grâces de l’âme convalescente.

Christophe, en écrivant cette scène, ne s’était occupé que de sa propre joie ; il n’avait pas songé aux moyens d’exécution ; et surtout, il ne lui serait jamais venu à l’idée qu’elle pût être représentée. Il la destinait aux concerts, pour le jour où les concerts daigneraient l’accueillir.

Un soir qu’il en parlait à Achille Roussin, et que, sur sa demande, il avait essayé de lui en donner une idée, au piano, il fut bien étonné de voir Roussin prendre feu et flamme pour l’œuvre, et déclarer qu’il fallait à tout prix qu’elle fût jouée sur une scène parisienne, et qu’il en faisait son affaire. Il fut bien plus étonné encore, quand il vit, quelques jours après, que Roussin prenait la chose au sérieux ; et son étonnement toucha à la