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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

pour elle. Tous les gens de goût, à Paris, pensent comme moi.

Et il tourna le dos à Christophe. Christophe le vit offrir son bras à l’actrice et sortir avec elle. Comme il restait stupéfait, Sylvain Kohn, qui avait suivi la scène avec délices, lui prit le bras, et lui dit, en riant, tandis qu’ils descendaient ensemble l’escalier du théâtre :

— Mais vous ne savez donc pas qu’elle est sa maîtresse ?

Christophe comprit. Ainsi, c’était pour elle, ce n’était pas pour lui que l’on montait la pièce ! Il s’expliqua l’enthousiasme de Roussin, ses dépenses, l’empressement de ses acolytes. Il écoutait Sylvain Kohn qui lui contait l’histoire de la Sainte-Ygraine : une divette de music-hall, qui, après s’être exhibée avec succès dans divers petits théâtres de genre, avait été prise de l’ambition, commune à beaucoup de ses pareilles, de se faire entendre sur une scène plus digne de son talent. Elle comptait sur Roussin pour la faire engager à l’Opéra, ou à l’Opéra-Comique ; et Roussin, qui ne demandait pas mieux, avait trouvé dans la représentation du David une occasion de révéler sans risques au public parisien les dons lyriques de la nouvelle tragédienne, dans un rôle qui n’exigeait presque aucune action dramatique, et qui mettait en pleine valeur l’élégance de ses formes.

Christophe écouta l’histoire jusqu’au bout ; puis il se dégagea du bras de Sylvain Kohn, et il