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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

soir que, se promenant toutes deux au jardin, Colette voulait, avec une tendresse coquette, abriter Grazia sous les plis de son manteau contre une petite ondée qui s’était mise à tomber, Grazia, pour qui c’eût été, quelques semaines avant, un bonheur ineffable de se blottir contre le sein de sa chère cousine, s’écarta froidement, et se tint à quelques pas, en silence. Et quand Colette disait qu’elle trouvait laid un morceau de musique que jouait Grazia, cela n’empêchait pas Grazia de le jouer, et de l’aimer.

Elle n’était plus attentive qu’à Christophe. Elle avait la divination de la tendresse, et percevait ce qu’il souffrait, sans qu’il le dît. Elle se l’exagérait beaucoup, il est vrai, dans son attention inquiète et enfantine. Elle croyait que Christophe était amoureux de Colette, quand il n’avait pour elle qu’une amitié exigeante. Elle pensait qu’il était malheureux, et elle était malheureuse pour lui. La pauvrette n’était guère récompensée de sa sollicitude : elle payait pour Colette quand Colette avait fait enrager Christophe ; il était de mauvaise humeur, et se vengeait sur sa petite élève, en relevant impatiemment les fautes de son jeu. Un matin que Colette l’avait exaspéré encore plus qu’à l’ordinaire, il s’assit au piano avec tant de brusquerie que Grazia acheva de perdre le peu de moyens qu’elle avait : elle pataugea ; il lui reprocha ses fausses notes avec colère ; alors, elle se noya tout à fait ; il se fâcha, il lui secoua les mains,