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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

répondu à ses timides avances que Grazia était bien où elle était, beaucoup mieux qu’elle ne serait avec lui, et que, pour son éducation, il fallait qu’elle restât.

Mais il arriva un moment où l’exil devint trop douloureux à la petite âme du Midi, et où il fallut qu’elle reprît son vol vers la lumière. — Ce fut après le concert de Christophe. Elle y était venue avec les Stevens ; et ce fut un déchirement pour elle d’assister à ce spectacle hideux d’une foule s’amusant à outrager un artiste… Un artiste ? Celui qui, aux yeux de Grazia, était l’image même de l’art, la personnification de tout ce qu’il y avait de divin dans la vie. Elle avait envie de pleurer, de se sauver. Il lui fallut entendre jusqu’au bout le tapage, les sifflets, les huées, et, au retour chez sa tante, les réflexions désobligeantes, le joli rire de Colette, qui échangeait avec Lucien Lévy-Cœur des propos apitoyés. Réfugiée dans sa chambre, dans son lit, elle sanglota, une partie de la nuit : elle parlait à Christophe, elle le consolait, elle eût voulu donner sa vie pour lui, elle se désespérait de ne pouvoir rien pour le rendre heureux. Il lui fut impossible désormais de rester à Paris. Elle supplia son père de la faire revenir. Elle disait :

— Je ne peux plus vivre ici, je ne peux plus, je mourrai si tu me laisses plus longtemps.

Son père vint aussitôt ; et si pénible qu’il leur fût à tous deux de tenir tête à la terrible tante, ils