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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 5.djvu/27

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15
LA FOIRE SUR LA PLACE

Diener en eut un haut-le-corps. Il était révolté d’un tel sans-gêne.

— Comment ! rien ne presse ! dit-il. Une affaire…

Christophe le regarda en face :

— Non.

Le gros garçon baissa les yeux. Il haïssait Christophe, de se sentir si lâche devant lui. Il balbutia avec dépit. Christophe l’interrompit :

— Voici, dit-il. Tu sais…

(Ce tutoiement blessait Diener, qui s’était vainement efforcé, dès les premiers mots, d’établir entre Christophe et lui la barrière du : vous.)

— … Tu sais pourquoi je suis ici ?

— Oui, je sais, dit Diener.

(Il avait été informé par ses correspondants de l’algarade de Christophe, et des poursuites dirigées contre lui.)

— Alors, reprit Christophe, tu sais que je ne suis pas ici pour mon plaisir. J’ai dû fuir. Je n’ai rien. Il faut que je vive.

Diener attendait la demande. Il la reçut, avec un mélange de satisfaction — (car elle lui permettait de reprendre sa supériorité sur Christophe) — et de gêne — (car il n’osait pas lui faire sentir cette supériorité, comme il l’eût voulu.)

— Ah ! fit-il avec importance, c’est bien fâcheux, bien fâcheux. La vie est difficile ici. Tout est cher. Nous avons des frais énormes. Et tous ces employés…