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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

sa main était toute moite ; il la garda dans la sienne jusqu’à la fin du morceau ; ils sentaient, à travers leurs doigts entrelacés, couler le même flot de vie.

Ils sortirent ensemble ; il était près de minuit. Ils remontèrent, en causant, dans le quartier Latin ; elle lui avait pris le bras, et il la reconduisit presque chez elle ; mais arrivés à la porte, comme elle se disposait à lui montrer le chemin, il la quitta, sans prendre garde à son sourire et à ses yeux engageants. Sur le moment, elle fut stupéfaite, puis furieuse ; puis, elle se tordit de rire, en pensant à sa sottise ; puis, rentrée dans sa chambre et se déshabillant, au milieu de sa toilette, elle fut de nouveau agacée, et finalement pleura en silence. Quand elle le revit au concert, elle voulut se montrer piquée, indifférente, un peu cassante. Mais il était si bon enfant que sa résolution ne tint pas. Ils se remirent à causer ; seulement, elle gardait maintenant avec lui une certaine réserve. Il lui parlait cordialement, mais avec une grande politesse, et de choses sérieuses, de belles choses, de la musique qu’ils entendaient et de ce que cela signifiait pour lui. Elle l’écoutait attentivement, et tâchait de penser comme lui. Le sens de ses paroles lui échappait souvent ; mais elle y croyait quand même. Elle avait pour Christophe un respect reconnaissant, qu’elle lui montrait à peine. D’un accord tacite, ils ne se parlaient qu’au concert. Il la rencontra une fois au