Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 5.djvu/306

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

294
JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

insipides, toutes ces choses intellectuelles, parfaitement inutiles, et ennuyeuses par surcroît, qui prennent une si grande place dans ces existences mensongères. Elle ne pouvait s’empêcher de comparer silencieusement la vie réelle, avec laquelle elle était aux prises, aux plaisirs et aux peines imaginaires de cette vie de luxe, où tout semble fabriqué par l’ennui. Au reste, elle n’en était pas révoltée. C’était ainsi : c’était ainsi. Elle admettait tout, les méchantes gens et les sots. Elle disait :

— Faut de tout, pour faire un monde.

Christophe s’imaginait qu’elle était soutenue par sa foi religieuse ; mais un jour, elle dit, à propos des autres, plus riches et plus heureux :

— Au bout du compte, on sera tous pareils, plus tard.

— Quand donc ? demanda-t-il. Après la révolution sociale ?

— La révolution ? dit-elle. Oh ! bien, il passera de l’eau sous le pont, avant. Je ne crois pas à ces bêtises. Tout sera toujours de même.

— Alors, quand est-ce qu’on sera pareils ?

— Après la mort, bien sûr ! Il ne reste rien de personne.

Il fut bien étonné de ce matérialisme tranquille. Il n’osa pas lui dire :

— Est-ce que ce n’est pas affreux, en ce cas, si l’on n’a qu’une vie, qu’elle soit comme la vôtre, tandis qu’il y a d’autres gens qui sont heureux ?

Mais elle sembla avoir deviné ce qu’il pensait ;