Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 5.djvu/318

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Dans cette détente de sa volonté, il sentait le besoin de se rapprocher des autres. Et, bien qu’il fût très faible encore, et que ce ne fût guère prudent, il sortait, de bon matin, à l’heure où le flot du peuple dévalait des rues populeuses vers le travail lointain, ou le soir, quand il revenait. Il voulait se plonger dans le bain rafraîchissant de la sympathie humaine. Non pas qu’il parlât à personne. Il ne le cherchait même pas. Il lui suffisait de regarder passer les gens, de les deviner, et de les aimer. Il observait, avec une affectueuse pitié, ces travailleurs qui se hâtaient, ayant tous, comme par avance, la lassitude de la journée, — ces figures de jeunes hommes, de jeunes filles, au teint étiolé, aux expressions aiguës, aux sourires étranges, — ces visages transparents et mobiles, sous lesquels on voyait passer des flots de désirs, de soucis, d’ironies changeantes, — ce peuple si intelligent, trop intelligent, un peu morbide, des grandes villes. Ils marchaient vite, tous, les hommes lisant les journaux, les femmes grignotant un croissant. Christophe eût bien donné un mois de sa vie pour que la blondine ébouriffée, aux traits bouffis de sommeil, qui venait de passer près de lui, d’un petit pas de chèvre, nerveux et

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