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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 5.djvu/32

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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

gance, qui cherchait à dissimuler les défectuosités de sa taille, ses épaules hautes et la largeur de ses hanches. C’était là l’unique chose qui chagrinât son amour-propre ; il eût accepté de bon cœur quelques coups de pied au derrière pour avoir deux ou trois pouces de plus et la taille mieux prise. Pour le reste, il était fort satisfait de lui-même ; il se croyait irrésistible. Le plus fort est qu’il l’était. Ce petit juif allemand, ce lourdaud, s’était fait le chroniqueur et l’arbitre des élégances parisiennes. Il écrivait de fades courriers mondains, d’un raffinement compliqué. Il était le champion du beau style français, de l’élégance française, de la galanterie française, de l’esprit français, — Régence, talon rouge, Lauzun. On se moquait de lui ; mais cela ne l’empêchait point de réussir. Ceux qui disent que le ridicule tue à Paris ne connaissent point Paris : bien loin d’en mourir, il y a des gens qui en vivent ; à Paris, le ridicule mène à tout, même à la gloire, même aux bonnes fortunes. Sylvain Kohn n’en était plus à compter les déclarations que lui valaient, chaque jour, ses marivaudages francfortois.

Il parlait, avec un accent lourd et une voix de tête.

— Ah ! voilà une surprise ! criait-il gaiement, en secouant la main de Christophe dans ses mains boudinées, aux doigts courts, qui semblaient tassés dans une peau trop étroite. Il ne pouvait se