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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 5.djvu/45

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LA FOIRE SUR LA PLACE

encore plus à ce qu’il y avait en lui d’automatique et de guindé. Les Juifs de cette espèce ne sont pas rares ; et l’opinion n’est pas tendre pour eux : elle taxe d’arrogance cette raideur cassante, qui est souvent le fait d’une gaucherie incurable de corps et d’âme.

Sylvain Kohn présentait son protégé, sur un ton de prétentieux badinage, avec des éloges exagérés. Christophe, décontenancé par l’accueil, se balançait, son chapeau et ses manuscrits à la main. Lorsque Kohn eut fini, Hecht, qui jusque-là ne semblait pas s’être douté que Christophe fût là, tourna dédaigneusement la tête vers lui, et, sans le regarder, dit :

— Krafft… Christophe Krafft… Je n’ai jamais entendu ce nom.

Christophe reçut cette parole, comme un coup de poing en pleine poitrine. Le rouge lui monta au visage. Il répondit avec colère :

— Vous l’entendrez plus tard.

Hecht ne sourcilla point, et continua imperturbablement, comme si Christophe n’existait pas :

— Krafft… Non. Je ne connais pas.

Il était de ces gens, pour qui c’est déjà une mauvaise note que de n’être pas connu d’eux.

Il continua, en allemand :

— Et vous êtes du Rhein-Land ?… C’est étonnant combien il y a de gens là-bas qui se mêlent de musique ! Je crois qu’il n’y en a pas un qui ne prétende être musicien.