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LA FOIRE SUR LA PLACE

Christophe tressauta :

— Et voilà ce que vous m’offrez, à moi, à moi ?…

Ce « moi » naïf fit la joie de Kohn ; mais Hecht prit un air offensé :

— Je ne vois pas ce qui peut vous étonner, dit-il. Ce n’est point là un travail si facile ! S’il vous paraît trop aisé, tant mieux ! Nous verrons ensuite. Vous me dites que vous êtes bon musicien. Je dois vous croire. Mais enfin, je ne vous connais pas.

Il pensait, à part lui :

— Si on croyait tous ces gaillards-là, ils feraient la barbe à Johannes Brahms lui-même.

Christophe, sans répondre, — (car il s’était promis de réprimer ses emportements) — enfonça son chapeau sur sa tête, et se dirigea vers la porte. Kohn l’arrêta, en riant :

— Attendez, attendez donc ! dit-il.

Et, se tournant vers Hecht :

— Il a justement apporté quelques-uns de ses morceaux, pour que vous puissiez vous faire une idée.

— Ah ! dit Hecht, ennuyé. Eh bien, voyons cela.

Christophe, sans un mot, tendit les manuscrits. Hecht y jeta les yeux, négligemment.

— Qu’est-ce que c’est ? Une Suite pour piano… (Lisant :) Une journée… Ah ! toujours de la musique à programme !…

Malgré son indifférence apparente, il lisait avec grande attention. Il était excellent musicien, possédait son métier, d’ailleurs ne voyait rien au delà ;