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LA FOIRE SUR LA PLACE

de petites âmes froides et fades, outrageusement parfumées, à la façon de Gounod et de Massenet, mais avec moins de naturel. Et il se redisait le mot injuste de Gluck, à propos des Français :

— Laissez-les faire : ils retourneront toujours à leurs ponts-neufs.

Seulement, ils s’appliquaient à les rendre très savants. Ils prenaient des chansons populaires pour thèmes de symphonies doctorales, comme des thèses de Sorbonne. C’était le grand jeu du jour. Toutes les chansons populaires et de tous les pays y passaient à tour de rôle. — Et ils faisaient avec cela des Neuvième Symphonie et des Quatuor de Franck, mais beaucoup plus difficiles. Tel pensait une petite phrase bien claire. Vite, il se hâtait d’en introduire une seconde au milieu, qui ne signifiait rien, mais qui râpait cruellement contre la première. — Et l’on sentait que tous ces gens étaient si calmes, si parfaitement équilibrés !…

Pour conduire ces œuvres, un jeune chef d’orchestre, correct et hagard, se démenait, foudroyait, faisait des gestes à la Michel-Ange, comme s’il s’agissait de soulever des armées de Beethoven ou de Wagner. Le public, composé de mondains, qui mouraient d’ennui, mais qui pour rien au monde n’eussent renoncé à l’honneur de paver chèrement un ennui glorieux, et de petits apprentis, heureux de se prouver leur science d’école, en démêlant au passage les ficelles du métier, dépensaient