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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 5.djvu/97

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LA FOIRE SUR LA PLACE

s’arrêtaient n’importe où. Il y en avait qui étaient presque arrivés à des sentiers nouveaux ; mais, au lieu de poursuivre, ils s’asseyaient à la lisière, et musaient sous un arbre. Ce qui leur manquait le plus, c’était la volonté, la force ; ils avaient tous les dons, — moins un : la vie puissante. Surtout, il semblait que cette quantité d’efforts fussent utilisés d’une façon confuse, et se perdissent en route. Il était rare que ces artistes sussent nettement prendre conscience de leur nature, et coordonner leurs forces avec constance en vue d’un but donné. C’était l’effet ordinaire de l’anarchie française, qui dépense des ressources énormes de talent et de bonne volonté à s’annihiler par ses incertitudes et ses contradictions. Il était presque sans exemple qu’un de leurs grands musiciens, un Berlioz, un Saint-Saëns, — pour ne pas nommer les plus récents, — ne se fût pas embourbé en soi-même, acharné à se détruire, renié, faute d’énergie, faute de foi, faute surtout de boussole intérieure.

Christophe, avec le dédain insolent des Allemands d’aujourd’hui, pensait :

— Les Français ne savent que se gaspiller en inventions dont ils ne font rien. Il leur faut toujours un maître d’une autre race, un Gluck ou un Napoléon, qui vienne tirer parti de leurs Révolutions.

Et il souriait à l’idée d’un Dix-huit Brumaire.