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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

der en nous ; semblables aux douces lueurs d’un soleil caché, elles répandront leur lumière sur toutes nos actions. »

Mais ces scrupules ne les touchaient guère. Ils ne se demandaient point si l’arc qu’ils tenaient à la main lançait « l’idée ou la mort », ou toutes les deux ensemble. Ils étaient trop intellectuels. Ils manquaient d’amour. Quand un Français a des idées, il veut les imposer aux autres. Quand il n’en a pas, il le veut tout de même. Et quand il voit qu’il ne le peut, il se désintéresse des autres, il se désintéresse d’agir. C’était la raison principale pour laquelle cette élite s’occupait peu de politique, sauf pour geindre et se plaindre. Chacun s’enfermait dans sa foi, ou dans son manque de foi.

Bien des essais avaient été tentés pour combattre cet individualisme et tâcher de former des groupements entre ces hommes ; mais la plupart de ces groupes avaient immédiatement versé dans des parlotes littéraires, ou des factions ridicules. Les meilleurs s’annihilaient mutuellement. Il y avait là quelques hommes excellents, pleins de force et de foi, qui étaient faits pour rallier et guider les bonnes volontés faibles. Mais chacun avait son troupeau, et ne consentait pas à le fondre avec celui des autres. Ils étaient ainsi une poignée de petites revues, unions, associations, qui avaient toutes les vertus morales, hors une : l’abnégation ; car aucune ne voulait s’effacer de-