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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

groupes n’avaient le plus souvent d’autre raison d’être que le désir de n’être pas avec les autres, l’incapacité de s’unir avec les autres dans une action ou une pensée commune, la défiance des autres, quand ce n’était pas l’hostilité des partis, qui armait les uns contre les autres les hommes les plus dignes de s’entendre.

Même lorsque des esprits qui s’estimaient se trouvaient associés à une même tâche, comme Olivier et ses camarades de la revue Ésope, ils semblaient toujours rester, entre eux, sur le qui-vive ; ils n’avaient point cette bonhomie expansive, si commune en Allemagne, où elle devient facilement encombrante. Dans ce groupe de jeunes gens, il en était un surtout qui attirait Christophe, parce qu’il devinait en lui une force exceptionnelle : c’était un écrivain, inflexible de logique et de volonté, passionné d’idées morales, intraitable dans sa façon de les servir, prêt à leur sacrifier le monde entier et soi-même ; il avait fondé et il rédigeait presque à lui seul une revue pour les défendre ; il s’était juré d’imposer à l’Europe et à la France elle-même l’idée d’une France pure, héroïque et libre ; il croyait fermement que le monde reconnaîtrait un jour qu’il écrivait une des pages les plus intrépides de l’histoire de la pensée française ; — et il ne se trompait pas. Christophe eut désiré le connaître davantage et se lier avec lui. Mais il n’y avait pas moyen. Quoiqu’Olivier eût souvent affaire avec