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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 7.djvu/139

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DANS LA MAISON

l’appelait : Moloch), — quitte, le moment d’après, à se sentir le cœur plein de gratitude pour sa parfaite bonté.

La bonté n’est pas rare chez les Juifs : c’est de toutes les vertus celle qu’ils admettent le mieux, même quand ils ne la pratiquent pas. À la vérité elle reste chez la plupart d’entre eux sous une forme négative ou neutre : indulgence, indifférence, répugnance à faire le mal, tolérance ironique. Chez Mooch, elle était passionnément active. Il était toujours prêt à se dévouer pour quelqu’un ou pour quelque chose. Pour ses coreligionnaires pauvres, pour les réfugiés russes, pour les opprimés de toutes les nations, pour les artistes malheureux, pour toutes les infortunes, pour toutes les causes généreuses. Sa bourse était toujours ouverte ; et, si peu garnie qu’elle fût, il trouvait toujours moyen d’en faire sortir quelque obole ; quand elle était vide, il en faisait sortir de la bourse des autres ; il ne comptait jamais ses peines, ni ses pas, du moment qu’il s’agissait de rendre service. Il faisait cela simplement, — avec une simplicité exagérée. Il avait le tort de dire un peu trop qu’il était simple et sincère : mais le plus fort, c’est qu’il l’était.

Christophe, partagé entre son agacement et sa sympathie pour Mooch, eut une fois un mot cruel d’enfant terrible. Un jour qu’il était tout ému de la bonté de Mooch, il lui prit affectueusement les deux mains et lui dit :