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DANS LA MAISON

en ses jugements, il y avait toujours eu une certaine musique, qu’il avait tacitement réservée, mise à l’abri, et à laquelle il ne fallait point toucher : c’était celle qui était plus et mieux que de la musique, celle qui était de l’âme toute pure, une grande âme bienfaisante, où l’on puisait la consolation, la force et l’espérance. La musique de Beethoven était de celles-là. Voir un faquin l’outrager le mettait hors de lui. Ce n’était plus une question d’art, c’était une question d’honneur ; tout ce qui donne du prix à la vie, l’amour, l’héroïsme, la vertu passionnée, la bonté affamée de se donner aux autres, y étaient engagés. C’était le bon Dieu ! Il n’y a plus à discuter. On ne peut pas plus permettre qu’on y porte atteinte que si l’on entendait insulter la femme qu’on vénère et qu’on aime : il faut haïr et tuer… Que dire, quand l’insulteur était, de tous les hommes, celui que Christophe méprisait le plus !

Et le hasard voulut que, le soir même, les deux hommes se trouvèrent face à face.


Pour ne pas rester seul avec Olivier, Christophe était allé, contre son habitude, à une soirée chez Roussin. On lui demanda de jouer. Il le fit à contre-cœur. Toutefois, au bout d’un instant, il s’était absorbé dans le morceau qu’il jouait, lorsque, levant les yeux, il aperçut à quelques pas, dans un groupe, les yeux ironiques de Lucien Lévy-Cœur, qui l’observaient. Il s’arrêta net, au milieu