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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

d’une mesure ; et, se levant, il tourna le dos au piano. Il se fit un brusque silence de gêne. Mme  Roussin, surprise, vint à Christophe, avec un sourire forcé ; et, prudemment, — n’étant pas très sûre que le morceau ne fût pas terminé, — elle lui demanda :

— Vous ne continuez pas, monsieur Krafft ?

— J’ai fini, répondit-il sèchement.

À peine eut-il parlé qu’il sentit son inconvenance ; mais au lieu de le rendre plus prudent, cela ne fit que l’exciter davantage. Sans prendre garde à l’attention railleuse de l’auditoire, il alla s’asseoir dans un coin du salon, d’où il pouvait suivre les mouvements de Lucien Lévy-Cœur. Son voisin, un vieux général, à la figure rosée et endormie, avec des yeux bleu pâle, d’expression enfantine, se crut obligé de lui adresser des compliments sur l’originalité du morceau. Christophe s’inclinait, ennuyé, et il grognait des sons inarticulés. L’autre continuait de parler, excessivement poli, avec son sourire insignifiant et doux ; et il aurait voulu que Christophe lui expliquât comment il pouvait jouer de mémoire tant de pages de musique. Christophe s’agitait impatienté, et il se demandait s’il ne jetterait pas d’une bourrade le bonhomme en bas du canapé. Il voulait entendre ce que disait Lucien Lévy-Cœur : il guettait un prétexte pour s’attaquer à lui. Depuis quelques minutes, il sentait qu’il allait faire une sottise : rien au monde n’aurait pu l’empêcher de la