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DANS LA MAISON

devrais bien nous passer un peu de ton appétit.

La santé est contagieuse, — comme la maladie. Le premier à éprouver le bienfait de cette force fut naturellement Olivier. La force était ce qui lui manquait le plus. Il se retirait du monde, parce que les vulgarités du monde l’écœuraient. Avec une grande intelligence et des dons artistiques exceptionnels, il était trop délicat pour faire un grand artiste. Les grands artistes ne sont pas des dégoûtés ; la première loi pour tout être sain, c’est de vivre : d’autant plus impérieuse, quand on est un génie ; car on vit davantage. Olivier fuyait la vie ; il se laissait flotter dans un monde de fictions poétiques sans corps, sans chair, sans rapports avec la réalité. Il était de cette élite littéraire, qui, pour trouver la beauté, a besoin de la chercher hors des siècles, dans les temps qui ne sont plus, ou dans ceux qui n’ont jamais été. Comme si la boisson de vie n’était pas aussi enivrante, et ses vendanges aussi opulentes, aujourd’hui qu’autrefois ! Mais les âmes fatiguées répugnent au contact direct de la vie ; elles ne la peuvent supporter qu’à travers le voile de mirages que tisse l’éloignement du passé et l’écho qui renvoie, en les déformant, les paroles mortes de ceux qui furent autrefois des vivants. — L’amitié de Christophe arrachait Olivier peu à peu à ces Limbes de l’art. Le soleil s’infiltrait dans les retraites de l’âme, où il s’engourdissait.