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DANS LA MAISON

longuement. Les Arnaud en parlaient avec une ardeur et une jeunesse de cœur qui l’enchantait. Il ne croyait pas qu’il fût possible à des Français d’aimer tant la musique.

— C’est, disait Olivier, que tu n’as vu jusqu’ici que les musiciens.

— Je sais bien, répondait Christophe, que les musiciens sont ceux qui aiment le moins la musique ; mais tu ne me feras pas croire que les gens de votre sorte soient légion en France.

— Quelques milliers, pour le moins.

— Alors, c’est une épidémie, une mode toute récente ?

— Ce n’est pas une affaire de mode, dit Arnaud. « Celuy, lequel oyant un doux accord d’instrumens ou la douceur de la voyx naturelle, ne s’en réjouist point, ne s’en esmeut point, et de teste en pied, n’en tressault point, comme doucement ravy, et si ne scay comment dérobé hors de soy, c’est signe qu’il a l’âme tortue, vicieuse, et dépravée, et duquel il se faut donner garde comme de celui qui n’est point heureusement né… »

— Je connais cela, dit Christophe : c’est de mon ami Shakespeare.

— Non, dit Arnaud doucement, c’est d’un Français qui vivait avant lui, c’est de notre Ronsard. Vous voyez que si c’est une mode d’aimer la musique en France, la mode n’est pas d’hier.

Qu’on aimât la musique en France était moins encore pour étonner Christophe que le fait qu’on