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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 7.djvu/212

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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

tiques : ils voudraient bien faire de l’art ; mais ils ne voudraient pas compromettre leur situation bourgeoise. À la vérité, ce n’est point là un problème très difficile ; et la plupart des artistes d’à présent l’ont résolu sans risques. Encore faut-il le vouloir ; et, de ce pauvre effort d’énergie, tous ne sont pas capables ; ils ne sont pas assez sûrs de vouloir ce qu’ils veulent ; et à mesure que leur situation bourgeoise devient plus assurée, ils s’y laissent couler, sans révolte et sans bruit. On ne saurait les en blâmer, s’ils étaient de bons bourgeois, au lieu de méchants artistes. Mais, de leur déception, il leur reste trop souvent un mécontentement secret, un qualis artifex pereo, qui se recouvre tant bien que mal de ce qu’on est convenu d’appeler de la philosophie, et qui leur gâte la vie, jusqu’à ce que l’usure des jours et les soucis nouveaux aient effacé la trace de cette vieille amertume. Tel était le cas d’André Elsberger. Il eût voulu faire de la littérature : mais son frère, très entier dans ses façons de penser, avait voulu qu’il entrât, comme lui, dans la carrière scientifique. André était intelligent, passablement doué pour les sciences — ou les lettres, — indifféremment ; il n’était pas assez sûr d’être un artiste, et il était trop sûr d’être un bourgeois ; il s’était plié, provisoirement d’abord — (on sait ce que ce mot veut dire) — à la volonté de son frère ; il était entré à Centrale, dans un rang pas très bon, en était sorti de même, et