Aller au contenu

Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 7.djvu/250

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

238
JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

que si la France était victorieuse à son tour, elle ne serait pas plus modérée dans la victoire que ne l’avait été l’Allemagne, et qu’à la chaîne des crimes s’ajouterait un anneau. Ainsi s’éterniserait le conflit tragique, où le meilleur de la civilisation européenne menaçait de se perdre.

Si angoissante que fût la question pour Christophe, elle l’était plus encore pour Olivier. Ce n’était pas assez de la tristesse d’une lutte fratricide entre les deux nations les mieux faites pour s’associer. En France même, une partie de la nation s’apprêtait à lutter contre l’autre partie. Depuis des années, les doctrines pacifistes et antimilitaristes se répandaient, propagées à la fois par les éléments les plus nobles et les plus vils de la nation. L’État les avait longtemps laissé faire, avec le dilettantisme énervé qu’il apportait à tout ce qui ne touchait point à l’intérêt immédiat des politiciens ; et il ne pensait point qu’il y aurait eu moins de danger à soutenir franchement la doctrine la plus dangereuse, qu’à la laisser cheminer dans les veines de la nation et y ruiner la guerre, tandis qu’on la préparait. Cette doctrine parlait aux libres intelligences, qui rêvaient de fonder une Europe fraternelle, unissant ses efforts, en vue d’un monde plus juste et plus humain. Et elle parlait aussi au lâche égoïsme de la racaille, qui ne voulait point risquer sa peau, pour qui que ce fût, pour quoi que ce fût. — Ces pensées avaient atteint Olivier et