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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

Unissez-vous à eux. Pensez tout ce que vous voudrez, mais prenez chaque jour un bain d’humanité. Il faut vivre de la vie des autres, et subir, et aimer son destin.

— Notre destin est d’être ce que nous sommes. Il ne dépend pas de nous de penser, ou de ne pas penser certaines choses, même si elles sont dangereuses. Nous sommes arrivés à un degré de civilisation tel que nous ne pouvons plus retourner en arrière.

— Oui, vous êtes parvenus à l’extrême rebord du plateau de la civilisation, à cet endroit critique où un peuple ne peut atteindre, sans être pris du désir irrésistible de se jeter en bas. Religion et instinct se sont affaiblis chez vous. Vous n’êtes plus qu’intelligence, machines à moudre des raisonnements. Casse-cou ! La mort vient.

— Elle vient pour tous les peuples : c’est une affaire de siècles.

— Vas-tu faire fi des siècles ? La vie tout entière est une affaire de jours et d’heures. Il faut être de sacrés diables d’abstracteurs, comme vous êtes, pour vous placer dans l’absolu, au lieu d’étreindre l’instant qui passe.

— Que veux-tu ? La flamme brûle la torche. On ne peut pas être et avoir été, mon pauvre Christophe.

— Il faut être.

— C’est une grande chose d’avoir été quelque chose de grand.