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DANS LA MAISON

— Ce n’est une grande chose qu’à condition qu’il y ait encore, pour l’apprécier, des hommes qui vivent et qui soient grands.

— N’aimerais-tu pas mieux pourtant avoir été les Grecs, qui sont morts, que d’être tant de peuples qui végètent aujourd’hui ?

— J’aime mieux être Christophe vivant.

Olivier cessa de discuter. Ce n’était pas qu’il n’eût bien des choses à répondre. Mais cela ne l’intéressait point. Dans toute cette discussion, il ne pensait qu’à Christophe. Il dit, en soupirant :

— Tu m’aimes moins que je ne t’aime.

Christophe lui prit la main avec tendresse :

— Cher Olivier, dit-il, je t’aime plus que ma vie. Mais pardonne, je ne t’aime pas plus que la vie, que le soleil de nos races. J’ai l’horreur de la nuit, où votre faux progrès m’attire. Toutes vos paroles de renoncement recouvrent le même Nirvâna bouddhique. L’action seule est vivante, même quand elle tue. Nous n’avons le choix, en ce monde, qu’entre la flamme qui dévore et la nuit. Malgré la douceur mélancolique des rêves qui précèdent le crépuscule, je ne veux pas de cette paix avant-coureur de la mort. Le silence des espaces infinis m’épouvante. Jetez de nouvelles brassées de bois sur le feu ! Encore ! Encore ! Et moi avec, s’il le faut. Je ne veux pas que le feu s’éteigne. S’il s’éteint, c’est fait de nous, c’est fait de tout ce qui est.