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Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 7.djvu/31

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DANS LA MAISON

L’une des chambres était plus large et plus belle que les autres. Ce fut un débat entre les deux amis à qui ne l’aurait pas. Il fallut la tirer au sort ; et Christophe, qui en avait suggéré l’idée, sut, avec une mauvaise foi et une dextérité dont lui-même ne se serait pas cru capable, faire en sorte qu’il ne gagnât point.


Alors, commença pour eux une période de bonheur absolu. Le bonheur n’était pas dans une chose précise, il était dans toutes à la fois ; il baignait tous leurs actes et toutes leurs pensées, il ne pouvait se détacher d’eux, un seul instant.

Durant cette lune de miel de leur amitié, ces premiers temps de jubilation profonde et muette, que connaît seul « celui qui peut, dans l’univers, nommer une âme sienne »…

Ja, wer auch nur eine Seele sein nennt auf dem Erdenrund
ils se parlaient à peine, ils osaient à peine parler ; il leur suffisait de se sentir l’un à côté de l’autre, d’échanger un regard, un mot qui leur prouvait que leur pensée, après de longs silences, suivait le même cours. Sans se faire aucune question, même sans se regarder, ils se voyaient sans cesse. Celui qui aime se modèle inconsciemment sur l’âme de celui qu’il aime ; il a si grand désir de ne pas le blesser, d’être tout ce qu’il est, que, par une intuition mystérieuse et soudaine, il lit