Aller au contenu

Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 7.djvu/48

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

36
JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

de Pascal ? Comment est-il permis de calomnier un peuple qui, depuis plus de dix siècles, agit et crée, un peuple qui a pétri le monde à son image par l’art gothique, par le dix-septième siècle, et par la Révolution, — un peuple qui, vingt fois, a passé par l’épreuve du feu et s’y est retrempé, et qui, sans mourir jamais, a ressuscité vingt fois !… — Vous êtes tous de même. Tous tes compatriotes qui viennent chez nous ne voient que les parasites qui nous rongent, les aventuriers des lettres, de la politique et de la finance, avec leurs pourvoyeurs, leurs clients et leurs catins ; et ils jugent la France d’après ces misérables qui la dévorent. Pas un de vous ne songe à la vraie France opprimée, aux réserves de vie qui sont dans la province française, à tout ce peuple qui travaille, indifférent au vacarme de ses maîtres d’un jour… Oui, c’est trop naturel que vous n’en connaissiez rien, je ne vous en fais pas un reproche : comment le pourriez-vous ? C’est à peine si la France est connue des Français. Les meilleurs d’entre nous sont bloqués, prisonniers sur notre propre sol… On ne saura jamais tout ce que nous avons souffert, attachés au génie de notre race, gardant en nous comme un dépôt sacré la lumière que nous en avions reçue, la protégeant désespérément contre les souffles ennemis qui s’évertuent à l’éteindre, — seuls, sentant autour de nous l’atmosphère empestée de ces métèques, qui se sont abattus sur notre pensée, comme un essaim